19 mars 2016 : Baptême réussi !

COMPTE RENDU DU BRM200 DE CASTANET / Dodécaudax#1

Le départ du BRM200 du 19 mars 2016 du Cyclo Club de Castanet (voir message précédent) était prévu entre 7h et 8h du matin, et je n'ai rien trouvé de mieux que d'arriver en retard pour le contrôle de départ... Résultat, sur les 51 partants, j'ai l'honneur d'être le dernier inscrit et le dernier partant. Félicitations ! Je roule habituellement seul ou à deux et me sens capable de tenir ces 200 kilomètres, mais en m'inscrivant au BRM, j'avais justement envie de découvrir ce qu'est de rouler en peloton et de partager l'inauguration de mon premier 200... Je suis vraiment stupide.

Bref, j'enfourche mon vélo à 7h25, alors que les autres sont partis depuis une 1/2 heure. Chance inouïe, je vois qu'il y a encore deux cyclistes qui sont là et qui se préparent tranquillement à partir. Ils ont l'air d'êtres des habitués des longues distances. Je vais essayer de les suivre et de profiter de leur expérience. Je leur avoue que c'est mon premier 200 et que j'ai un peu le trac. Ils me laissent généreusement "prendre leur roue" (càd. qu'ils me laissent les suivre en me mettant juste derrière eux pour me protéger du vent et faire moins d'effort, comme les grues en migration, c'est très efficace). Tout s'arrange, je ne vais pas rouler seul !

20160319_07203920160319_07380920160319_073829
20160319_07293220160319_083937

Nous sommes sur le plat de la piste cyclable du Canal du Midi, dans la fraicheur et la brume matinale. C'est beau. Nous allons à bonne allure, mais sans excès. Je reste derrière. Vigilant. Inquiet d'arriver à doser mon effort au long des 200 kilomètres et à ne pas maltraiter mes genoux. Petit à petit, j'apprends que Bertrand et Jean, mes deux compagnons, sont partis à vélo de Castelnaudary ce matin à 5h, d'où leur retard au départ, et qu'ils y rentreront ce soir (ce qui leur fera un périple total de 350 kilomètres !). En fait, c'est Bertrand qui roule devant, qui donne le tempo et qui veille gentiment sur nous en adaptant sa vitesse. Il a commencé un dodécaudax en début d'année, prépare la 1001 Miglia Italia et organise l'Extrem Ride Bike 11. On entre là dans le domaine du "cyclisme ultra" (ultra longue distance). Il fait plein de photos en roulant. Vous pouvez voir ses photos et lire son récit de la rando sur le site de son dodécaudax. Jean l'accompagne aujourd'hui et inaugure son premier 350 kilomètres.

Nous commençons donc à discuter et à nous rencontrer. Mais déjà nous quittons le canal, arrivent les premiers petits dénivelés et le vent de face se lève. Je m'accroche, mais au sommet de chaque bosse, je suis légèrement distancé et ne les rattrape que dans la descente suivante. Je fais l'accordéon. À chaque montée l'écart augmente et rapidement je n'arrive plus à les rattraper dans la descente suivante. C'est terrible, je les vois s'éloigner inexorablement et ne peux rien y faire... Humilité et modestie s'imposent d'elles-mêmes. Après une trentaine de kilomètres en trio, je me retrouve donc en solo dans les vallons avec un vent de face qui forcit. Que faire, rouler fort en espérant hypothétiquement rattraper un groupe parti tôt mais roulant moins vite que moi, au risque de m'épuiser prématurément, ou rouler en ménageant mes forces pour tenir les 180 kilomètres restants avec le sentiment de m'engager dans une éprouvante traversée du désert ? Je peste contre moi en retard ce matin et souris à la stupidité de cette situation. Je choisis la deuxième option et roule à mon rythme habituel.

20160319_10091120160319_10115220160319_101512

Au bout d'une trentaine de kilomètres, je vois au loin la silhouette jaune fluo d'un cycliste. Est-ce un randonneur du BRM ? Puis j'en vois un second. Ils suivent la même route que moi. J'en suis sûr, ils font le BRM ! Je les rattrape facilement, et dans l'éprouvant vent de face, je préfère rester à mon rythme et les double l'un après l'autre (non sans oublier de les saluer). C'est stupide, mais cela me redonne des forces... Je rattrape un troisième cycliste et nous roulons ensemble jusqu'au panneau d'entrée de Fanjeaux, où nous mettons pied à terre. Là, il me dit qu'il roule avec les 2 autres et qu'il les attend. Je décide d'attendre aussi et de rester avec eux. Pendant la pause, deux autres cyclistes nous rejoignent et nous allons tous ensemble pointer* à Fanjeaux (Km 72).

* Pointer consiste à faire tamponner le carton de contrôle que l'on nous a remis au départ par un commerçant des villes traversées, afin de prouver que nous avons bien effectué le parcours.

20160319_10472120160319_10553020160319_11201720160319_11114220160319_112454

Nous allons au Café des Arts. Il est 11h. Nous sommes les seuls clients. C'est la vraie pause café, certains sortent le casse-croûte et commandent moult cafés. Pour moi, à défaut de citron pressé, ce sera un sirop de citron. Ça discute fort et passionné. C'est étrange et rassurant de découvrir des personnalités, des humains, derrière nos absurdes tenues d'épouvantails casqués aux lunettes de Terminator. Je me demande comment ils seront habillés lundi. Seront-ils en tenue de dentiste, d'ingénieur aérospatial, de maçon, de retraité ou de chômeur ? Nos vêtements sont improbables. Des formes, des couleurs et des matières que nous ne porterions jamais au quotidien. Des costumes qui pourraient paraître complètement subversifs, punks et marginaux s'ils étaient portés dans la rue. Suis-je au milieu d'un groupe de vieux rockers rebelles, à faire la tournée des bistrots de campagne ? Non, nous sommes de classiques cyclistes en tenue de cycliste, une tenue parfaitement conventionnelle et respectant les codes du cycliste de la famille "cyclotouriste au long court". Peut-être que, parmi nous, certains maudissent les exubérances vestimentaires des bandes de jeunes révoltés et insoumis...

Après 25 minutes de pause et nos cartons bien tamponnés par le cafetier, nous repartons. Enfin !!! J'ai les jambes fougueuses ! Nous sommes 7, je dois être le plus jeune. Plusieurs ont le maillot du club de Castanet. Un autre a une très belle randonneuse artisanale faite sur mesure par Philippe Andouard à St Juery. Il pédale comme un tracteur : régulier, immuable et sans balancer. Aussi, il s'est chargé de 25 kg, pour s'entrainer pour de plus longs voyages... Je suis impressionné, à eux tous, ils cumulent au moins une quinzaine de Paris-Brest-Paris. Les niveaux sont différents, mais nous nous attendons régulièrement et restons en groupe. Un joli groupe. C'est bon de rouler comme ça, cela déplace intérieurement. Je me rends compte qu'en solo, n'ayant pas de repère extérieur, je suis attentif à mon effort et à mon ressenti pour être au plus rapide sans m'épuiser. Là, c'est l'attention au groupe qui prime. Certes, je dis cela parce que je suis dans la bonne moyenne et ne souffre pas du rythme, si j'étais en difficultés en queue de peloton, ce serait certainement une autre histoire.

20160319_12161720160319_130911

Le 2eme pointage est au Col de la Flotte (Km 98), il n'y a pas d'habitation ni de commerce, alors pour justifier de notre passage, nous devons faire une photo à côté de la stèle de commémoration des maquisards tombés en 44. Nous sommes à la moitié et au plus haut du parcours. Nous allons maintenant repartir vers le NO, avec un vent favorable. Cette deuxième moitié devrait donc être plus facile que la première. La petite brise de dos et la route plus roulante donnent des ailes. Je me sens facile et vais bon train, c'est grisant. L'impression d'être un crayon glissant sur une carte d'état-major, d'être l'infini contenu dans un minuscule segment de droite. Un des membres de notre groupe est calé dans ma roue et profite de mon aspiration. Nous filons dans la plaine et ne voyons plus les autres.

Nous arrivons au pointage de Laroque d'Olmes (Km 121) vers 14h20. Je fais du calcul mental. Certains cyclistes font du calcul mental, notamment des calculs de moyenne horaire, de durée et d'heure d'arrivée. J'en fais partie. Résultat, si nous nous arrêtons plus de 44 minutes, notre moyenne risque d'être trop faible et nous serions hors délais pour valider notre BRM ! C'est mon premier BRM, mon premier 200, et je sens en moi la fierté du petit coq qui n'a pas du tout envie de s'arrêter, pas du tout envie de rester 30 minutes au café, pas envie de finir à la nuit (à cause de la faible autonomie de mon éclairage) et surtout pas pas du tout envie d'arriver hors délai pour mon premier BRM. J'y pense déjà depuis plusieurs kilomètres, mais je n'ose pas le dire. Par respect de ce que j'imagine des règles tacites du groupe et parce que je suis en totale contradiction avec ce que j'ai valorisé plus haut : être à l'écoute des autres et être hors de la notion de compétition...
A cet instant, un troisième membre du notre équipée nous rejoint, il nous dit qu'il y en a un qui est en difficulté et qu'il a des crampes. Pendant que mes confrères cherchent un café, je regarde au loin mais ne vois rien venir et me dit que l'on va y rester un bon moment au café. Alors je leur avoue que je n'ai pas envie d'aller au bistrot et que je préfèrerai rouler, mais que je suis gêné et ne sais pas si "ça ce fait"... Ils me rassurent gentiment et me disent "Mais oui, tu as raison. Vas-y, fait ta course !" J'ai un doute... le pensent-ils vraiment ? C'est une randonnée, pas une course. Ne serais-je pas devenu un traitre à cette seconde ? Je ne le saurai jamais. Je leur dis au revoir, fais tamponner mon carton à la Maison de Presse et reprends la route seul.

20160319_141827

Il reste 90 kilomètres. Je pense à ces règles tacites du randonneur cycliste, que j'enfreins peut-être comme un malappris, sans le savoir. Je pense à la fluidité des rapprochements et des éloignements entre cyclistes, à ces amitiés opportunes, collaboratives et vagabondes, lorsqu'au loin, je vois deux nouveaux randonneurs. Ils font une erreur de parcours qui me permet de presque revenir dans leurs roues. Ils roulent de front, papotent gaiement et semblent ne pas forcer. Il y en a un qui a une belle randonneuse artisanale (une Gilles Berthoud) et l'autre qui est habillé "normalement", avec un short et un sweat shirt marron. Ils me semblent sympathiques. J'aimerai venir à leur hauteur, mais je n'arrive pas vraiment à m'accrocher et dans une petite côte, ils me distancent. Plus loin, ils semblent prendre une mauvaise direction, en tout cas ils tournent à gauche et mon GPS indique d'aller tout droit. Ils sont trop loin pour le leur dire, nous nous saluons de loin et continuons chacun dans notre direction. Tant pis.

Pour le pointage à Mazères (Km 165), je vais au Bar du Centre. Dans la grande salle, seuls une mère et ses enfants boivent des sodas en regardant la télé. Je lie amitié avec le gros chien de la maison. Derrière le comptoir, je vois des citrons et, ravi, demande un vrai citron pressé pour mettre dans mes bidons. Petite hésitation de la serveuse, ces citrons servent normalement à la déco des cocktails et elle ne fait jamais de citron pressé... J'ai finalement droit à un super citron pressé, passé au mixer et dois insister pour le payer avant de repartir. Merci madame !

Le vent forcit. En rafales. Parfois de dos, c'est bien. Souvent de côté et je fais de grands écarts sur la route. C'est moins bien. A cause du vent, la fin de parcours est moins facile que prévu, mais le soleil couchant derrière les éoliennes fait oublier d'y penser.

20160319_16414220160319_16481520160319_17145020160319_18502320160319_185031

À 18h22, j'arrive à Castanet. Fin du voyage. Je suis ravi. Ce fut un beau parcours, par de petites routes peu fréquentées et des pourcentages pas trop violents. François Goas, qui a organisé le brevet, est là, dans une petite salle municipale. Il attend patiemment nos arrivées, pour valider la fin de nos parcours et nous offrir une petite collation bienvenue. Les arrivées vont s'étaler de 14h50 à 19h50, et François sera toujours là. Merci à François et au Cyclo Club Castanéen !

J'ai roulé 11h pour faire 208 kilomètres et revenir au même endroit. C'est absurde, je suis content, tout va bien.

Les deux premières questions que l'on m'a souvent posées sont : "De quel club es-tu ?" et "Tu vas aussi faire le 300 du 9 avril, hein !?".
N'appartenant à aucun club, la première question reste tout le temps sans suite, avec comme un silence de déception. Y aurait-il une inimitié entre les cyclistes solitaires et les cyclistes grégaires ? Est-ce plutôt un moyen facile d'entrer en contact en parlant de vieux copains de tel ou tel club qui ne trouve pas d'accroche ?
Pour la seconde question, malgré sa forme interro-affirmative pleine d'entrain, j'y ai toujours répondu par "Il faut déjà que je finisse le 200, on verra après". J'ai fini et je suis en bon état. Alors, dès ce soir, je vais commander une super roue dynamo (pour l'éclairage bien sûr, mais aussi pour recharger mon GPS qui ne tient que 10-11h) et oui, je vais m'inscrire au BRM300 !