Un grand événement à Toulouse - réflexions et propositions

Courrier électronique envoyé le 19 octobre 2008 à Nicole Belloubet (1ère adjointe au Maire de Toulouse, en charge de la Culture) et posté sur le Forum des Assises de la culture à Toulouse (malheureusement, ce forum n'est plus en ligne !!!).

Oui, il est évident qu'un grand événement culturel, d'envergure international, fait défaut à Toulouse. Autant pour le rayonnement de notre ville à l'extérieur que pour son dynamisme au plan local et pour permettre à notre scène artistique de se situer sur le plan national et international.

Cherchons à le définir en plusieurs points.

A / Un grand événement, oui ! Mais lequel ?
B / Un événement qui attire les professionnels
C / Festival international, travail local & politique culturelle
D / Deux propositions
Annexes

A / UN GRAND EVENEMENT, OUI ! MAIS LEQUEL ?
Avant tout, je pense qu'il doit faire des choix forts et engagés, il doit prendre des risques et être singulier.
S'il veut perdurer, il doit être d'une grande exigence artistique. C'est à la constance de cette exigence que l'événement gagnera sa notoriété au-delà de sa région d'accueil et fidélisera ses publics.
Evidemment, cette qualité artistique n'est pas en opposition avec un événement festif pour tous, elle doit le générer. Mais, si elle n'est pas première dans nos critères, je crains la dérive "populo-festive" et que l'on ne rate le rendez-vous d'un enrichissement culturel de chacun (voir en annexe "Petite note sur Lille2004").
L'excellence culturelle n'est en rien élitiste, elle est au contraire la marque du respect des publics !

Les villes qui ont leur grand rendez-vous, sont largement identifiés par l'univers de celui-ci (théâtre, danse, marionnette, rock, art contemporain ...) *. Il ne me semble pas pas qu'elles aient, à priori, une réelle histoire immémoriale en lien avec ces pratiques respectives. C'est souvent un projet qui a été accueilli avec réserve par les habitants. Il a dû persévérer, faire ses preuves et, petit à petit, il a construit sa place, créé son histoire, fidélisé ses publics et a gagné un rayonnement national / international, avec les retombées économiques qui facilitent son acceptation. Vouloir imposer immédiatement un grand festival me semble périlleux, il faut du temps pour que les habitants s'accaparent et s'identifient à cette nouvelle image.

Enfin, il est souvent (toujours ?) le fruit d'un projet porté par une personne. Pouvons-nous inventer un tel événement sans un tel porteur de projet ? J'en doute.

Quelques pistes de réflexion sur les thématiques possibles.

1 > De nombreuses pratiques sont déjà merveilleusement représentées (voir en annexe "Les Villes et leurs grands festivals"). Inutile de vouloir s'y ajouter.

2 > Poésie et littérature
Une place est possible, le Marathon des Mots ne s'y est pas trompé. Malheureusement, il n'a pas choisi la bonne méthode (voir en annexe la "Petite note sur le Marathon des Mots").

3 > Rue et Cirque
Bien que cela ne soit pas mon domaine d'activité, j'ai pu constater lors de mes déplacements (France et étranger) que la plus grande notoriété de notre région en création contemporaine concerne les arts de la rue et le cirque. C'est donc un des possibles qui pourrait s'inscrire facilement et avec un bon accueil dans notre territoire.

4 > Création Sonore
Un secteur un peu flou et qui cherche peut-être son grand rendez-vous : la création sonore (le sonore qui n'est pas musique) > poésie sonore, installation sonore, performance sonore, radio, design sonore, architecture sonore ...
Souvent associé aux festivals d'art numérique, de culture électronique, de musique contemporaine ou de musique électroacoustique, la création sonore se retrouve aussi dans les arts de la rue et l'art contemporain. Il offre en outre de larges possibilités d'actions dans l'espace urbain. Ce domaine, très présent dans le nord autour de la Belgique-Hollande, est actuellement en expansion en France où il cherche sa place.
Pourquoi ne pas tenter l'aventure à Toulouse ?

5 > "LES TRANSDISCIPLINAIRES DE TOULOUSE"
Comme vous l'avez suggéré lundi dernier, ce pourrait-être un "festival autour de la création, entre Festival d'Automne et Avignon" : oui !
Je dis bien "transdisciplinaire" et pas "multidisciplinaire" ni "interdisciplinaire", parce que ce qui nous interpelle dans l'art (comme dans les sciences), ce n'est pas ses techniques, c'est ce "qui traverse les frontières entre les disciplines" (Le Petit Robert), ce qui parle de l'homme et de son milieu, ce qui bouleverse nos sens et notre pensée.
C'est un tel événement que je souhaite pour ma ville.


B / UN EVENEMENT QUI ATTIRE LES PROFESSIONNELS
Lorsque j'observe les événements d'une telle ampleur dans les autres villes, il me semble que tous, en même temps qu'ils attirent un large public, sont aussi de grands rendez-vous pour les professionnels. Je pense que c'est là un des atouts qui fait leur notoriété. Les programmateurs, collectionneurs, diffuseurs viennent y faire des affaires et il devient une étape importante pour la notoriété des artistes qui y sont présents.
Souvent, une formation professionnelle reconnue s'ajoute au festival et multiplie, de façon cohérente, cet attrait.

Pour cela le festival doit être d'une grande exigence artistique, découvrir des artistes, présenter des premières, commander des créations, organiser des rencontres professionnelles, être ouvert à l'international ... et perdurer.
Le public (local, national et international), attiré par ces découvertes et "rassuré" par cette présence professionnelle, se fidélise et les retombées économiques se font sentir, indispensable pour une meilleure acceptation par les artisans et autres entrepreneurs de la région.


C / FESTIVAL INTERNATIONAL, TRAVAIL LOCAL & POLITIQUE CULTURELLE
Pour avoir habité Avignon plusieurs années, je peux témoigner que pendant le festival, n'importe quel petit local se transforme en théâtre, les techniciens réalisent leurs cachets annuel en 2 mois et les appartements se louent 5 à 10 fois le prix normal. C'est une manne financière et d'activité que personne ne remet en question.

Mais en dehors de cette période, dès le mois d'août, il faut bien reconnaître que la vie culturelle contemporaine avignonnaise reste particulièrement calme et la myriade de petits théâtres ferment leurs portes en attendant l'année suivante pour remplir à nouveaux les caisses (il y a de la spéculation immobilière en ce sens).
L'économie, les commerçants et les techniciens du spectacle qui y ont trouvé leur compte sont contents et ne s'offusquent pas de ce calme.

Je ne souhaite pas cela pour notre ville.

Le défi est donc de construire un événement au rayonnement international tout en soutenant le dynamisme culturel local.
Les deux doivent bien sûr s'articuler selon une politique culturelle cohérente. Comme me le disait dernièrement Anne Santini : "
Le festival, s'il y'en a un, doit être un point d'orgue. Et, est donc, finalement, en lien très étroit avec la politique culturelle, et la politique de la ville en général, et celles çi doivent donc être mieux définies... Mais on peut aussi le penser à l'envers le festival est un bon exemple pour définir ensuite la politique culturelle !"


Techniquement, il me semble que la préparation d'un festival de cette ampleur est lourde et difficilement conciliable avec un travail local de qualité sur l'année. Cela demande d'autres compétences. Il faut s'appuyer sur d'autres acteurs. Mélanger les missions serait risquer de les remplir mal.


D / DEUX PROPOSITIONS
Lors de ma récente participation au festival Gaudeamus (musique contempraine internationale) à Amsterdam en septembre dernier, j'ai découverts deux événements digne d'être soulignés et qui pourraient nous inspirer.

>> UITMARKT - FÊTE D'OUVERTURE DE LA SAISON CULTURELLE
Le dernier WE d'août, a lieu le coup d’envoi de la nouvelle saison culturelle. Toutes les structures culturelles de la ville s'unissent pour créer un grand événement de présentation de la saison à venir. Elles ouvrent leurs portes et c'est l'occasion d'une grande fête culturelle avec de nombreux spectacles gratuits en plein air. Cet événement est terriblement populaire et c'est l'occasion, pour beaucoup, de venir pour la première fois au musée ou l'opéra.
http://www.uitmarkt.nl/
http://en.wikipedia.org/wiki/Uitmarkt

>> AMSTERDAMPRIJS - Prix pour les arts de la ville d'Amsterdam
Chaque année, un jury attribue 3 prix pour les arts (35000€ chacun). Ces prix sont décernés à des artistes ou groupes d'artistes qui "fournissent une contribution importante et actuelle à l'art aux Pays-Bas". Chaque année, le jury détermine quels seront les disciplines et/ou thématiques qui seront primées l'année suivante. En 2008, ont été primé : Julika Rudelius (1968, Cologne) - art vidéo, Pete Philly & Perquisite (1982, Amsterdam) - musique rap et Marlies Rohmer (1957, Rotterdam) - architecte.
http://www.afk.nl/organisatie.php?page=1&id=5
Sur cette inspiration, nous pourrions imaginer LE PRIX DE LA VILLE DE TOULOUSE qui viendrait récompenser des artistes pour leur travail et leur engagement. Mais attention, là aussi, l'excellence et le contemporain sont de mise pour ne pas obtenir l'effet inverse et se rendre ridicule.


ANNEXES :
- PETITE NOTE SUR LE PRINTEMPS DE SEPTEMBRE
L'édition 2008 du Printemps de Septembre est une réussite !!!
J'y sens une volonté pédagogique, un simplicité de discours et une grande qualité des propositions.
Le nombre de lieux et de partenariats est impressionnant. Il construit un vrai parcours qui nous fait redécouvrir la ville. Pour avoir discuté avec quelques responsables de lieux ayant collaborés au festival, j'ai plaisir de constater que ce partenariat est accueilli très positivement.
Il y a beaucoup d'artistes étrangers (Suisse notamment) et j'aime cela. En effet, je n'attends pas d'un tel festival qu'il me montre et consacre les artistes Toulousains que je peux voir toute l'année. Non, je souhaite qu'il m'interpelle et ouvre des portes en moi.
C'est ce qu'il fait.

- PETITE NOTE SUR LE MARATHON DES MOTS
Le Marathon des Mots peut / aurait pu être LE grand rendez-vous international de la littérature et de la poésie en France.
Mais nous constatons qu'il est bien mal parti.
Trop gros dès sa première édition, trop "parisien" dans sa mise en place, il a heurté les acteurs locaux, n'a pas pris le temps de s'installer dans la ville et de construire son histoire. Faire venir les têtes d'affiches est certes flatteur et agréable pour le public mais n'attire pas les professionnel en quête de découvertes. Ces lectures manquent de rencontres professionnelles pour élargir son rayonnement.
Cependant, il me semble qu'il y a la place en France pour cette thématique et qu'elle permettrait de travailler avec nos poètes, écrivains, poètes sonores (d'origine étrangères ou non, occitans ou non ...).
Las, la blessure d'amour propre semble trop douloureuse.

- PETITE NOTE SUR LILLE 2004
Lille 2004 est un mauvais exemple d'excellence.
Pour y avoir travaillé, je peux témoigner que les critères principaux de réussites étaient le nombre de visiteur par jour et le nombre d'articles de presse (en ce sens c'est une réussite). Certaines expositions étaient conçues uniquement dans le but d'un "fast-food culturel". Lorsque je m'en suis offusqué auprès d'un des commissaires d'exposition, il m'a été dit par que "
de toute façon, on sait bien que le public ne reste pas plus de 20 secondes devant une oeuvre". Ce à quoi j'ai répondu que "ce discours est terriblement méprisant pour les visiteurs et il méconnaît totalement le rapport à une oeuvre d'art. Il est de notre responsabilité (en tant qu'artiste ou qu'acteur culturel) d'offrir et de créer d'autres possibles. Imaginer que le public ne peut concevoir la culture que comme une Foire du Trône ou un DisneyLand me révolte. Si le but est de concurencer TF1, je me désengage de cette course."
Ce sont les mêmes critères de flux et de rendement qui sont à l'origine de la dégradation de l'hôpital aujourd'hui ...
Faisons d'autres choix pour notre ville.

- PIEGE A EVITER 1
Au cours de ses assises, nous parlons beaucoup de cultures urbaines, de musiques actuelles ou de cultures électroniques (auquel j'ajouterais l'art numérique & multimédia).
Effectivement, nous n'avons pas su être novateur et aventurier et avons raté le train de ces pratiques en leur temps. Il y a un déficit sur ces secteurs dans notre ville-département-région qu'il faut certainement combler. Elles sont terriblement à la mode depuis plusieurs années, toutes les villes veulent leur salle et leur festival de cultures electro / musique actuelle / art multimédia.

C'est justement pour cela qu'il nous faut éviter la surenchère ridicule.
Force est de constater que le train est déjà passer et imaginer créer LE grand festival de cultures électroniques / musique actuelle en France ne ferai qu'ajouter un nom à la longue liste des festivals de ce genre.

- PIEGE A EVITER 2
Les organisateurs professionnels de festivals, les business-man qui vous livrent un festival clef en mains : grande parade, équipe d'artistes, flash et fumigènes, communication, technique, soirée VIP ... tout y est. Le show est populaire et la presse couvre largement l'événement. Mais l'ignorance du milieu d'accueil est souvent flagrante, la coupure avec les acteurs locaux est terrible, l'excellence artistique n'est pas au rendez-vous et le risque est grand de sombrer dans un "fast-food" culturo-festif sans sens.
JE NE VOUDRAIS SURTOUT PAS CELA POUR MA VILLE !!!


*LES VILLES ET LEURS GRANDS FESTIVALS, ceux qui viennent immédiatement à l'esprit lorsque l'on évoque ces villes
Angoulême > BD
Annecy > film d'animation
Arles > photo
Aurillac > art de la rue
Avignon > théâtre
Bourges > chanson/musiques actuelles
Cannes > cinéma
Charleville-Mézières > marionnette
Clermont-Ferrand > court métrage
Lyon > art contemporain + danse
Marseille > film documentaire
Montpellier > danse
St Nazaire > art contemporain
Nantes > art contemporain + science fiction
Perpignan > photo journalisme
Rennes/Bretagne > rock
etc ...